Voilà les feuilles sans sève Qui tombent sur le gazon Voilà le vent qui s'élève Et gémit dans le vallon Voilà l'errante hirondelle Qui rase du bout de l'aile L'eau dormante des marais Voilà l'enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts L'onde n'a plus le murmure Dont elle enchantait les bois Sous des rameaux sans verdure Les oiseaux n'ont plus de voix Le soir est près de l'aurore L'astre à peine vient d'éclore Qu'il va terminer son tour Il jette par intervalle Une heure de clarté pâle Qu'on appelle encore un jour L'aube n'a plus de zéphire Sous ses nuages dorés La pourpre du soir expire Sur les flots décolorés La mer solitaire et vide N'est plus qu'un désert aride Où l'oeil cherche en vain l'esquif Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N'a qu'un murmure plaintif La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus les hêtres Des airs de joie ou d'amour Toute herbe aux champs est glanée Ainsi finit une année Ainsi finissent nos jours C'est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants Ils tombent alors par mille Comme la plume inutile Que l'aigle abandonne aux airs Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l'approche des hivers C'est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir Tendres fruits qu'à la lumière Dieu n'a pas laissé mûrir Quoique jeune sur la terre Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison Et quand je dis en moi-même Où sont ceux que ton coeur aime? Je regarde le gazon Leur tombe est sur la colline Mon pied la sait, la voilà Mais leur essence divine Mais eux, Seigneur, sont-ils là? Jusqu'à l'indien rivage Le ramier porte un message Qu'il rapporte à nos climats La voile passe et repasse Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas Ah! Quand les vents de l'automne Sifflent dans les rameaux morts Quand le brin d'herbe frissonne Quand le pin rend ses accords Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres La nuit, à travers les bois A chaque vent qui s'élève A chaque flot sur la grève Je dis: N'es-tu pas leur voix? Du moins si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens Leur âme en secret murmure De plus intimes accents Au fond des coeurs qui sommeillent Leurs souvenirs qui s'éveillent Se pressent de tous côtés Comme d'arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés C'est une mère ravie A ses enfants dispersés Qui leur tend de l'autre vie Ces bras qui les ont bercés Des baisers sont sur sa bouche Sur ce sein qui fut leur couche Son coeur les rappelle à soi Des pleurs voilent son sourire Et son regard semble dire Vous aime-t-on comme moi? C'est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau N'emporta qu'une pensée De sa jeunesse au tombeau Triste, hélas! Dans le ciel même Pour revoir celui qu'elle aime Elle revient sur ses pas Et lui dit: Ma tombe est verte Sur cette terre déserte Qu'attends-tu? Je n'y suis pas C'est un ami de l'enfance Qu'aux jours sombres du malheur Nous prêta la Providence Pour appuyer notre cœur Il n'est plus, notre âme est veuve Il nous suit dans notre épreuve Et nous dit avec pitié Ami, si ton âme est pleine De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié? C'est l'ombre pâle d'un père Qui mourut en nous nommant C'est une soeur, c'est un frère Qui nous devance un moment Sous notre heureuse demeure Avec celui qui les pleure Hélas! Ils dormaient hier Et notre coeur doute encore Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair L'enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau Tous ceux enfin dont la vie Un jour ou l'autre ravie Emporte une part de nous Murmurent sous la poussière Vous qui voyez la lumière Vous souvenez-vous de nous? Ah! Vous pleurer est le bonheur suprême Mânes chéris de quiconque a des pleurs Vous oublier c'est s'oublier soi-même N'êtes-vous pas un débris de nos coeurs? En avançant dans notre obscur voyage Du doux passé l'horizon est plus beau En deux moitiés notre âme se partage Et la meilleure appartient au tombeau Dieu du pardon! Leur Dieu! Dieu de leurs pères Toi que leur bouche a si souvent nommé Entends pour eux les larmes de leurs frères Prions pour eux, nous qu'ils ont tant aimé Ils t'ont prié pendant leur courte vie Ils ont souri quand tu les as frappés Ils ont crié: Que ta main soit bénie Dieu, tout espoir! Les aurais-tu trompés? Et cependant pourquoi ce long silence? Nous auraient-ils oubliés sans retour? N'aiment-ils plus? Ah! Ce doute t'offense Et toi, mon Dieu, n'es-tu pas tout amour? Mais, s'ils parlaient à l'ami qui les pleure S'ils nous disaient comment ils sont heureux De tes desseins nous devancerions l'heure Avant ton jour nous volerions vers eux Où vivent-ils? Quel astre, à leur paupière Répand un jour plus durable et plus doux? Vont-ils peupler ces îles de lumière? Ou planent-ils entre le ciel et nous? Sont-ils noyés dans l'éternelle flamme? Ont-ils perdu ces doux noms d'ici-bas Ces noms de soeur et d'amante et de femme? A ces appels ne répondront-ils pas? Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire Leur eût ravi tout souvenir humain Tu nous aurais enlevé leur mémoire Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain? Ah! Dans ton sein que leur âme se noie Mais garde-nous nos places dans leur cœur Eux qui jadis ont goûté notre joie Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur? Etends sur eux la main de ta clémence Ils ont péché, mais le ciel est un don Ils ont souffert, c'est une autre innocence Ils ont aimé, c'est le sceau du pardon Ils furent ce que nous sommes Poussière, jouet du vent Fragiles comme des hommes Faibles comme le néant Si leurs pieds souvent glissèrent Si leurs lèvres transgressèrent Quelque lettre de ta loi Ô Père! Ô juge suprême Ah! Ne les vois pas eux-mêmes Ne regarde en eux que toi Si tu scrutes la poussière Elle s'enfuit à ta voix Si tu touches la lumière Elle ternira tes doigts Si ton oeil divin les sonde Les colonnes de ce monde Et des cieux chancelleront Si tu dis à l'innocence Monte et plaide en ma présence Tes vertus se voileront Mais toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité Tu dis au Soleil d'éclore Et le jour ruisselle encore Tu dis au temps d'enfanter Et l'éternité docile Jetant les siècles par mille Les répand sans les compter Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir Et jamais tu ne sépares Le passé de l'avenir Tu vis! Et tu vis! Les âges Inégaux pour tes ouvrages Sont tous égaux sous ta main Et jamais ta voix ne nomme Hélas! Ces trois mots de l'homme Hier, aujourd'hui, demain Ô Père de la nature Source, abîme de tout bien Rien à toi ne se mesure Ah! Ne te mesure à rien Mets, à divine clémence Mets ton poids dans la balance Si tu pèses le néant Triomphe, à vertu suprême En te contemplant toi-même Triomphe en nous pardonnant