Première Tableau (La cellule de Frère Laurent) ROMÉO Mon père! Dieu vous garde! FRÈRE LAURENT Eh! quoi! le jour à peine Se lève, et le sommeil te fuit? Quel transport vers moi te conduit? Quel amoureux souci t'amène? ROMÉO Vous l'avez deviné, mon père, c'est l'amour! FRÈRE LAURENT L'amour! Encore l'indigne Rosaline? ROMÉO Quel nom prononcez-vous? je ne le connais pas! L'oeil des élus, s'ouvrant à la clarté divine, Se souvient-il encore des ombres d'ici bas? Aime-t'on Rosaline, ayant vu Juliette? FRÈRE LAURENT Quoi? Juliette Capulet? ROMÉO La voici! (Juliette paraît suivie de Gertrude.) JULIETTE (s'élançant dans les bras de Roméo) Roméo! ROMÉO Mon âme t'appelât! Je te vois! ma bouche est muette! JULIETTE (à Frère Laurent) Mon père, Voici mon époux! Vous connaissez ce coeur que je lui donne! À son amour je m'abandonne; Devant le ciel unissez-nous! FRÈRE LAURENT Oui! Dussé-je affronter une aveugle colère, Je vous prêterai mon secours; Puisse de vos maisons la haine séculaire S'éteindre en vos jeunes amours! ROMÉO (à Gertrude) Toi, veille au dehors! (Gertrude sort.) FRÈRE LAURENT Témoin de vos promesses, Gardien de vos tendresses Que le Seigneur soit avec vous! À genoux! à genoux! Dieu, qui fis l'homme à ton image, Et de sa chair et de son sang créa la femme, Et, l'unissant à l'homme par le mariage Consacras du haut de Sion Leur inséparable union: Regarde d'un il favorable Ta créature misérable Qui se prosterne devant toi! ROMÉO ET JULIETTE Seigneur! nous promettons d'obéir à ta loi. FRÈRE LAURENT Entends ma prière fervente: Fais que le joug de ta servante Soit un joug d'amour et de paix! Que la vertu soit sa richesse, Que pour soutenir sa faiblesse Elle arme son coeur du devoir! ROMÉO ET JULIETTE Seigneur, sois mon appui, sois mon espoir! FRÈRE LAURENT Que la vieillesse heureuse voie Leurs enfants marchent dans ta voie, Et les enfants de leurs enfants! ROMÉO ET JULIETTE Seigneur! du noir péché c'est toi qui nous défends! FRÈRE LAURENT Que ce couple chaste et fidèle, Uni dans la vie éternelle, Parvienne au royaume des cieux! ROMÉO ET JULIETTE Seigneur! sur notre amour daigne abaisser les yeux! FRÈRE LAURENT (à Roméo) Roméo! tu choisis Juliette pour femme? ROMÉO Oui, mon père! FRÈRE LAURENT (à Juliette) Tu prends Roméo pour époux? JULIETTE Oui, mon père! (Ils échangent leurs anneaux.) FRÈRE LAURENT (mettant la main de Juliette dans celle de Roméo) Devant Dieu, qui lit dans votre âme, Je vous unis! Relevez-vous! (Ils se relèvent. Gertrude entre en scène.) JULIETTE, GERTRUDE, ROMÉO ET FRÈRE LAURENT Ô pur bonheur! Ô joie immense! Le ciel même a reçu nos/leurs serments amoureux! Dieu de bonté! Dieu de clémence! Sois béni par deux coeurs heureux! (Roméo et Juliette se séparent. Juliette sort avec Gertrude. Roméo sort avec Frère Laurent.) Deuxième Tableau (Une rue. À gauche la maison des Capulets) STÉPHANE (seul) Depuis hier je cherche en vain mon maître! (regardant le balcon de la maison de Capulet) Est-il encore chez vous, mes seigneurs Capulets? (arrogant) Voyons un peu si vos dignes valets À ma voix ce matin oseront reparaître! (Il fait mine de pincer de la guitare sur mon épée.) Que fais-tu, blanche tourterelle, Dans ce nid de vautours? Quelque jour, déployant ton aile, Tu suivras les amours! Aux vautours, il faut la bataille, Pour frapper d'estoc et de taille, Leurs becs sont aiguisés! Laisse là ces oiseaux de proie, Tourterelle qui fais ta joie Des amoureux baisers! Gardez bien la belle! Qui vivre verra! Votre tourterelle Vous échappera! Un ramier, loin du vert bocage, Par l'amour attiré, À l'entoure de ce nid sauvage A, je crois, soupiré! Les vautours sont à la curée, Leurs chansons, qui fuit Cythérée, Résonnent à grand bruit! Cependant, en leur douce ivresse Nos amants content leur tendresse Aux astres de la nuit! Gardez bien la belle, etc. Ah! ah! voici nos gens! GRÉGOIRE Qui diable à notre porte S'en vient roucouler de la sorte? STÉPHANE (à part, en riant) La chanson leur déplaît! GRÉGOIRE (aux autres valets) Eh! parbleu! N'est-ce pas Celui que nous chassions hier la dague au poing? LES VALETS C'est lui-même! l'audace est forte! STÉPHANE Gardez bien la belle, etc. GRÉGOIRE Est-ce pour nous narguer, mon jeune camarade, Que vous nous régalez de cette sérénade? STÉPHANE J'aime la musique! GRÉGOIRE C'est clair, c'est clair, On t'aura sur le dos, en pareille équipée, Cassé ta guitare, mon cher! STÉPHANE Pour guitare, j'ai mon épée, Et j'en sais jouer plus d'un air! GRÉGOIRE Ah! pardieu! Pour cette musique On peut te donne la réplique! STÉPHANE (dégainant) Viens donc en prendre une leçon! GRÉGOIRE (dégainant) En garde! LES VALETS (riant) Écoutons leur chanson. Quelle rage! Vertu Dieu! Bon courage Et franc jeu! Voyez comme cet enfant Contre un homme se défend! Fine lame, Sur mon âme! Il se bat En soldat! (Mercutio et Benvolio entrent en scène.) MERCUTIO (indigne) Attaquer un enfant! morbleu! C'est une honte digne des Capulets! (Il tire l'épée et se jette entre les combattants.) Tels maîtres, tels valets! (Tybalt, suivi de Pâris et de quelques amis, entre en scène et relève l'injure.) TYBALT (insolent) Vous avez la parole prompte, monsieur! MERCUTIO Moins prompte que le bras! TYBALT C'est ce qu'il faudrait voir! MERCUTIO C'est ce que tu verras! (Mercutio et Tybalt croisent le fer; au même instant Roméo accourt et se précipite entre eux.) ROMÉO Arrêtez! MERCUTIO Roméo! TYBALT (Vindicatif) Roméo! son démon me l'amène! (à Mercutio, avec une politesse ironique) Permettez, permettez que sur vous je lui donne le pas! (à Roméo, avec hauteur) Allons! vil Montaigu! flamberge au vent dégaine! Toi qui nous insultes jusqu'en notre maison, C'est toi qui vas porter la peine De cette indigne trahison! Toi dont la bouche maudite À Juliette interdite Osa, je crois, parler tout bas, (avec mépris) Écoute le seul mot que m'inspire ma haine! Tu n'es qu'un lâche! (Roméo porte vivement la main à son épée. Après un moment d'hésitation il la renforce dans le fourreau.) ROMÉO (contenu et digne) Allons! tu ne me connais pas, Tybalt, Et ton insulte est vaine! J'ai dans le coeur des raisons de t'aimer, Qui malgré moi me viennent désarmer. Je ne suis pas lâche! Adieu! (Il fait un pas pour s'éloigner.) TYBALT Tu crois peut-être Obtenir le pardon de tes offenses? traître! ROMÉO Je ne t'ai jamais offensé, Tybalt; des haines le temps est passé! MERCUTIO Tu souffriras ce nom de lâche, Ô Roméo! T'ai-je entendu? Eh bien, donc! si ton bras doit faillir à sa tâche, C'est à moi désormais que l'honneur en est dû! ROMÉO Mercutio! je t'en conjure! MERCUTIO Non! je vengerai ton injure! Misérable Tybalt! en garde, et défends-toi! TYBALT Je suis à toi! ROMÉO Écoute-moi! MERCUTIO Non, laisse-moi! CHOEUR (Montaigus) Bien sur ma foi! (Capulets) En lui j'ai foi! STÉPHANE, BENVOLIO, MERCUTIO Capulets! Capulets! race immonde! Frémissez de terreur! Et que l'enfer seconde Sa haine et sa fureur! CHOEUR Montaigus! Montaigus! race immonde! Frémissez de terreur! Et que l'enfer seconde Sa haine et sa fureur! ROMÉO Haine, haine, en malheurs féconde! Dois-tu toujours par ta fureur Donner au monde un spectacle d'horreur? TYBALT, PÂRIS, GRÉGOIRE Montaigus! Montaigus! race immonde! Frémissez de terreur! Et que l'enfer seconde Ma haine et ma fureur! CHOEUR Montaigus! Montaigus! race immonde! Frémissez de terreur! Et que l'enfer seconde Sa haine et sa fureur (Tybalt et Mercutio croisent le fer.) MERCUTIO Ah! blessé! ROMÉO Blessé! MERCUTIO Que le diable soit de vos deux maisons! Pourquoi te jeter entre nous? ROMÉO Ô sort impitoyable! (à ses amis) Secourez-le! MERCUTIO (chancelant) Soutenez-moi! (On emporte Mercutio qui succombe. Roméo, après l'avoir suivi des yeux pendant quelques instants, redescend la scène et, s'abandonnant tout entier à sa rage, il s'écrie) ROMÉO Ah! maintenant remonte au ciel prudence infâme! Et toi, fureur à l'il de flamme, Sois de mon coeur l'unique loi! (tirant son épée) Tybalt! Il n'est ici d'autre lâche que toi! (Ils croisent le fer.) À toi! (Tybalt est touché et chancelle; Capulet entre en scène, court à lui et le soutient dans ses bras. On cesse de se battre.) CAPULET Grand Dieu! Tybalt! BENVOLIO (à Roméo) Sa blessure est mortelle! Fuis sans perdre un instant! ROMÉO (à part) Ah! qu'ai-je fait? moi! fuir! maudit par elle! BENVOLIO C'est la mort qui t'attend! ROMÉO (avec désespoir) Qu'elle vienne donc, je l'appelle! TYBALT (à Capulet d'une voix expirante) Un dernier mot! est sur mon âme... exaucez-moi! CAPULET (solennellement) Tu seras obéis, je t'en donne ma foi! (Une foule de bourgeois a envahi la scène.) CHOEUR Qu'est-ce donc? qu'est-ce donc? c'est Tybalt! Il meurt! CAPULET (à Tybalt) Reviens à toi! ROMÉO, STÉPHANE, BENVOLIO, PÂRIS, GRÉGOIRE, CHOEUR Ô jour de deuil! ô jour de larmes! Un aveugle courroux! Ensanglante nos armes! Et le malheur plane sur nous! (On entend de fanfares.) CHOEUR Le Duc! Le Duc! (Le Duc entre en scène suivi de son cortège de gentilshommes et de pages portant des torches. Capulet se tourne vers le Duc.) CAPULET Justice! TOUS LES CAPULETS Justice! CAPULET (montrant le corps de Tybalt) C'est Tybalt, mon neveu, tué par Roméo! ROMÉO Il avait le premier, frappé Mercutio! J'ai vengé mon ami, que mon sort s'accomplisse! TOUS Justice! LE DUC Eh quoi? toujours du sang! de vos coeurs inhumains Rien ne pourra calmer les fureurs criminelles! Rien ne fera tomber les armes de vos mains, Et je serai moi-même atteint par vos querelles! (à Roméo) Selon nos lois, ton crime a mérité la mort. Mais tu n'est pas l'agresseur Je t'exile! ROMÉO Ciel! LE DUC (aux autres) Et vous dont la haine en prétextes fertile Entretient la discorde et l'effroi dans la ville, Prêtez tous devant moi le serment solennel D'obéissance aux lois et du prince et du ciel! ROMÉO Ah! jour de deuil et d'horreur et d'alarmes, Mon coeur se brise éperdu de douleur! Injuste arrêt qui trop tard nous désarmes, Tu mets le comble à ce jour de malheur! Je vois périr dans le sang et les larmes Tous les espoirs et tous les vues de mon coeur! LE DUC Ah! jour de deuil et d'horreur et d'alarmes, Je vois couler et mon sang et le leur! Trop juste arrêt où s'émoussent leurs armes, Tu viens trop tard en ce jour de malheur! En la noyant dans le sang et les larmes C'est la cité que l'on frappe en mon coeur! ROMÉO Ah! jour de deuil et d'horreur et d'alarmes, Mon cur se brise éperdu de douleur!, etc. CAPULET Jour de deuil et d'horreur et d'alarmes, Mon cur se brise éperdu de douleur! Injuste arrêt qui trop tard nous désarmes, tu mets le comble à ce jour de malheur! Je vois périr dans le sang et les larmes tous les espoirs, tous, tous les vues de mon coeur! STÉPHANE, LES MONTAIGUS Ah! jour de deuil et d'honneur et d'alarmes, Mon coeur se brise éperdu de douleur! Injuste arrêt où s'émoussent leurs armes, Tu viens trop tard en ce jour de malheur! Je vois périr dans le sang et les larmes avec les lois, la patrie et l'honneur! BENVOLIO, PÂRIS, LES CAPULETS Ah! jour de deuil et d'honneur et d'alarmes, Mon coeur se brise éperdu de douleur! Injuste arrêt qui trop tard nous désarmes, tu mets le comble à ce jour de malheur! Non! Non! nos coeurs dans le sang et les larmes, n'oublieront pas le devoir et l'honneur! LE DUC Tu quitteras le ville dès ce soir. ROMÉO (pour lui-même) Ô désespoir! l'exil! l'exil! Non! je mourrai Mais je veux la revoir! CAPULET ET CHOEUR La paix? non! non! non! non! jamais!