Tu es né le 2 juillet 1923 Huit ans plus tard, traversant la frontière espagnole pour trouver un refuge en France Tu te promettais de ne plus jamais regarder en arrière Tu es né le 2 juillet 1923 Et rien ne te faisait mal, comme tu aimais à le répéter Toutes les femmes voulaient danser avec toi. Même les jeunes! Valse, tango, paso doble Au grand dam de mamie Pepita, qui, crevant de jalousie Te faisait des scènes à toi, le grand charmeur Tu étais le Julio Iglesias local Toujours prêt à prendre le micro Et chanter des chansons espagnoles dans la salle du peuple aux soirées du Cantou Arrivé au début des années 30 Pedro, l’enfant immigré espagnol de Granja de Rocamora Posera sa valise à Marseillette et n’en partira jamais très loin Tu en deviendras un personnage emblématique Tu y trouveras ta place par le rugby à 13 Et bien sûr par la pétanque Les platanes au bord du Canal du Midi Se rappellent encore le claquement de tes carreaux Dix tirs, dix touches. Quasiment Et si fier de ne pas utiliser l’aimant pour ramasser les boules à 90 ans Alors que certains d’à peine 70 s’en servaient déjà! 1960, Pedro devient le projectionniste de l’Aude Ambulant, puis sédentaire D’abord, tu sillonnes le Minervois et les Corbières dans ta 4L avec ton cinéma itinérant Puis dans le garage de tes parents tu installes ton cinéma Laurel et Hardy, les Trois Stooges, Fernandel, les westerns Tu apportes la lumière et les rires dans nos villages Cinquante ans plus tard, tu râlais encore Parce que c’étaient les soirs où tu diffusais des films coquins Que les gens venaient le plus 1980. Il est 6h chaque matin quand tu ouvres le bar-hôtel-restaurant La Terrasse à Marseillette Un café au lait, cinq sucres Tu sers les habitués, tu gères le tiercé, tu joues à la belote La casquette vissée sur la tête, les cheveux gris Dégarni depuis tes 30 ans, tu n’as jamais changé de tête Tu n’as jamais changé du tout d’ailleurs Droit comme un I. Élégant Un Ricard ou deux. Jamais plus. Toujours raisonnable C’est toi qui ramenais tes copains dans la brouette Trop empégués pour marcher à la sortie des fêtes de village Aujourd’hui, en haie d’honneur devant le café Qui a réouvert pour l’occasion, tes amis sont tous là Endimanchés comme tu l’étais les soirs de fête 1990, tu rentres de la plaine, tout bleu de soufre La plaine, c’est cette vigne au bord de l’Aude entourée de roseaux C’était ton endroit On y a tous coupé au moins une grappe de raisins Tu étais classe, papi, à fond sur ton Massey Ferguson Dans tes vignes, le fusil en bandoulière, tu chassais les grives, les perdreaux Et tu arrivais même à attraper des lièvres à la main Tu les posais dans l’arrière-cuisine et mamie Pepita s’occupait du reste Et puis les années 2000 C’étaient tes « années papi rigolo et chantant » Carlos Gardel, Dany Brillant, Gloria Lasso, Patricia Kaas Ton répertoire était varié Lotos, thés dansants, dîners dansants Sans le poids du travail de tes vignes sur les épaules À 80 ans tu pouvais enfin profiter pleinement de la vie Ces derniers temps Tu ne te rappelais plus vraiment des paroles de tes chansons cultes Mais ça ne t’arrêtait certainement pas! Tu improvisais, et toujours en rime Tu donnais le change et amenais ta malice et ta bonne humeur partout Tu étais un peu le papi de tout le village Et même si tu avais perdu tes souvenirs À nous, tu nous en laisses de vraiment très beaux Adiós abuelo Quedate conmigo abuelo Quedate Quejate Quedate conmigo abuelo Quedate conmigo abuelo